Les enjeux de la nouvelle loi d’orientation du système éducatif mauritanien
Par Sidi Idoumou Boudida, Président de COMEDUC
La loi nouvelle loi d’orientation du système éducatif mauritanien de 2022 a fixé des objectifs et des ambitions pour un avenir qui aspire à adapter le système éducatif avec de nouvelles options visant à surmonter un certain nombre de défis et d’enjeux mentionnés dans le texte sous des titres importantes, dont les plus saillants sont: le régime et l’organisation des études, la carte scolaire, le curriculum et la politique de langues, les personnels de l’éducation, la gouvernance et la gestion du système d’éducation.
1. Le régime et l’organisation des études
a. Le préscolaire
L’article 20 de la loi d’orientation affirme que « l’objet de l’enseignement préscolaire est d’initier les enfants aux langues et aux valeurs culturelles nationales, consolider leur identité et les prémunir contre les risques d’aliénation culturelle ; de favoriser le développement de leurs différentes aptitudes psychomotrices, intellectuelles et sociales, pour leur permettre d’épanouir leur personnalité propre et de construire les bases des apprentissages scolaires ».
Selon l’annuaire des statistiques scolaires 2015-2016, rendu public par la Ministère de l’Education nationale, les enfants nouveaux inscrits au préscolaire sont au nombre de 10525 sur un total de 119615. C’est-à-dire que seulement 8,79% des enfants en âge du préscolaire ont été inscrits.
Quant aux infrastructures de base destinées au préscolaire, elles sont quasi inexistantes.
L’article 23 de la loi d’orientation reconnaît que les normes et les critères relatifs aux infrastructures d’accueil et équipements du préscolaire, aux curricula, aux ressources humaines, matérielles et financières et au mode de gestion de ce palier du système éducatif restent à fixer.
b. L’éducation de base (6-15 ans)
L’article 3 de la loi d’orientation stipule que l’éducation est une priorité nationale absolue et que l’enseignement est obligatoire de six à quinze ans. Le même article d’ajouter que l’éducation est un droit fondamental assuré à tous les mauritaniens sans discrimination fondée sur le sexe, l’origine sociale, culturelle, linguistique ou géographique.
Notons dans ce cadre que la loi 054-2001 portant obligation de l’enseignement fondamental est restée plus de 20 ans sans aucune forme d’application. Il est urgent de prendre les mesures et textes nécessaires pour l’application de cette loi.
c- L’enseignement secondaire
L’annuaire des statistiques scolaires 2016-2017 précise que le taux brut de scolarisation au secondaire était de 42%, un taux en dessous de la moyenne qui révèle l’ampleur de la déperdition scolaire.
d. L’enseignement supérieur
Ce palier de l’enseignement qui constitue la phase ultime de la formation souffre de l’insuffisance flagrante des infrastructures. Il souffre également de l’inadéquation des formations avec le marché du travail
e. l’Enseignement privé et de ses établissements
La loi d’orientation constitue un avantage certain pour l’enseignement privé dans la mesure où elle lui impose une meilleure organisation, le respect des curricula officiels, le strict respect des clauses du cahier des charges.
Par ailleurs, la limitation progressive de l’intervention privée dans l’enseignement prônée par la loi d’orientation constitue un frein important à la marchandisation de l’Education.
f. L’enseignement originel : les mahadras (écoles coraniques)
L’article 52 de la loi d’orientation explique que pour le développement et la pérennisation du rôle de l’enseignement originel, l’autorité concernée se doit de veiller à la prise en compte de l’apport de l’enseignement originel et à l’instauration de passerelles entre les Mahadras et le système éducatif formel.
Il y a lieu d’ajouter que l’autorité doit également assister l’enseignement originel financièrement et l’encadrer de plus près pour le protéger contre les dérives de tout genre.
2. La carte scolaire
L’implantation des établissements scolaires visant les deux impératifs de proximité scolaire et de rationalisation des ressources humaines et financières énoncée à l’article 57 de la loi d’orientation, doit constituer une rupture stricte avec la politique suivie jusqu’ici par le gouvernement prônant l’économie des moyens à travers le regroupement aveugle des écoles, alors que ce dont nous avons besoin est plutôt une école de proximité, surtout avec les espoirs créés par la dernière saison des pluies qui a provoqué un flux important d’exode des villes vers les campagnes.
L’appui social aux élèves en situation de vulnérabilité et de pauvreté et en situation de besoin d’aide évoqué à l’article 57 de la loi d’orientation doit inclure la mise en place d’internats dans tous les établissements scolaires susceptibles d’accueillir des apprenants confrontés au défi de l’éloignement de l’école de leur domicile familial.
3. Curriculum et politique de langues
a. les curricula
La création, auprès du ministre chargé de l’éducation nationale, d’une commission nationale des curricula chargée d’émettre des avis et des propositions sur toute question relative aux programmes, méthodes, horaires et aux moyens d’enseignement est un atout certain pour le système éducatif.
Néanmoins, les programmes doivent être soumis au grand public des enseignants durant une période expérimentale en vue de corriger les éventuelles erreurs typographiques, éliminer les images et textes invoquant des stéréotypes pouvant contribuer à maintenir des inégalités ou autres défauts.
b. La politique des langues
Comme l’affirme l’article 65 de la loi d’orientation, pour offrir l’accès le plus facile, le plus efficace et le plus équitable au savoir, chaque enfant mauritanien doit être enseigné dans sa langue maternelle.
Cette nouvelle orientation, d’un avantage certain pour l’ensemble des apprenants mauritaniens, va, par ailleurs, constituer un pas décisif sur le chemin de la solution de la question culturelle en Mauritanie.
Il serait bénéfique pour tous les mauritaniens que le gouvernement prenne les décisions à même de consolider cette orientation par des mesures prenant en compte les aspirations des différentes composantes nationales.
4. Les personnels de l’éducation
En vue garantir la disponibilité des ressources et des moyens nécessaires pour conférer aux personnels de l’éducation nationale un statut moral, social et économique, leur permettant de mener une vie digne et d’accomplir leur mission dans des conditions décentes, comme prévu à l’article 75 de la loi d’orientation, l’Etat doit recruter les enseignants en nombres suffisants, leurs offrir une formation initiale et une formation continue convenables, et, surtout, leur accorder des rémunérations adéquates.
Leurs conditions actuelles sont loin d’être satisfaisantes : formation initiale insuffisante, formation continue quasi inexistante, rémunération très faible. La rémunération des enseignants du supérieur est meilleure que celle de leurs collègues du fondamental et du secondaire, sans être à la hauteur de leurs attentes. A la retraite, les conditions de vie des enseignants, tous corps confondus, avoisinent l’indigence, avec une pension d’environ 7000 ouguiyas.
5. La Gouvernance et la Gestion du système d’éducation
Toutes les mesures énumérées par la loi d’orientation en vue d’une bonne gestion du système éducatif sont d’une importance capitale, mais elles resteront vaines tant qu’elles ne seront pas précédées par le toilettage sans parti pris des personnels en charge de la gestion du système. L’handicap premier de la gouvernance du système étant les nominations à caractère politique, partisan, ou clientéliste.
Enfin, faut-il le signaler, cette loi vient s’ajouter à un large arsenal de lois et réformes qui se sont succédé dans le secteur de l’éducation, avant d’être rapidement abrogées ou tomber aux oubliettes. Aura – t – elle plus de chance ?